Le changement climatique bouleverse les océans
L’intensité et la multiplicité des phénomènes marins dus au réchauffement climatique et à l’activité humaine ne permet plus aux scientifiques de comprendre les processus en cours et de prévoir leurs développemement futurs. Réchauffement de l’eau, acidification, déplétion de la biomasse transforment en profondeur les océans et la vie qu’ils abritent. Pourtant immense et généreuse, la mer commence elle aussi à fatiguer devant tant d’agressions. Saturée en CO2, elle est en train de déclarer forfait pour le rôle du puits de carbone que lui avaient attribué les scientifiques du GIEC.
Par Stephen Leahy, IPS, 28 mai 2008
Le changement climatique provoque tant de modifications multiples dans les océans de la planète que les scientifiques peinent à en suivre le rythme. Cette situation inédite ne permet pas d’avoir une vision globale sur leur état actuel ni sur les impacts futurs, disent les experts.
L’élévation du niveau de la mer, les changements dans l’intensité des ouragans et leur saisonnalité, le déclin de la pêche et des coraux sont quelques uns parmi les nombreux effets attribués aux changements climatiques.
Afin de tenter de mettre un peu d’ordre dans leurs - déconcertantes - observations, plus de 450 scientifiques de 60 pays se sont réunis à Gijón, sur la côte nord de l’Espagne, à l’occasion d’un colloque intitulé « Effets du changement climatique sur les océans du monde » qui s’est déroulé du 19 au 23 mai.
Le changement est visible dans tous les domaines étudiés par les sciences de la mer. L’élévation du niveau des mers et le réchauffement des températures océaniques sont les phénomènes les plus évidents, mais d’autres conséquences apparaissent également. Le déclin de la productivité de la biomasse océanique ne permet plus à certains biotopes d’abriter autant de poissons que par le passé, indique Luis Valdés, expert de renommée mondiale sur le plancton, qui est l’un des organisateurs du colloque.
Les espèces de déplacent vers de nouvelles régions en réaction au réchauffement des eaux dans leurs habitats d’origine, note M. Valdés, membre de l’Institut Océanographique Espagnol.
« Au large des côtes, dans le golfe de Gascogne, nous observons désormais des espèces tropicales que nous n’avions jamais vues auparavant », précise-t-il.
Ces modifications des écosystèmes marins entraînent des effets inconnus, ce qui accroît la nécessité et l’urgence de mener des observations suivies sur ces évolutions que connaissent les océans.
Les sciences de la mer sont largement en retard sur celles qui étudient l’atmosphère, principalement en raison du manque de financement. Il existe peu de séries de mesures sur la situation dans les océans qui s’étendent sur plus de 20 ans, et la majorité de ces informations ne couvre qu’une très faible proportion étendues maritimes, remarque M. Valdés.
« Capturerons-nous moins de sardines et d’anchois dans un proche avenir ? Je ne sais pas, parce que nous ne disposons pas de l’information, mais cela semble probable », déclare-t-il.
M. Valdés espère que le colloque encouragera les décideurs à financer une observation permanente de l’océan et des systèmes de surveillance afin que les scientifiques puissent détecter les évolutions en cours et faire des recommandations.
« La Commission européenne a qualifié cette initiative de plus importante réunion en Europe cette année », rappelle-t-il.
Certains changements intervenant dans les océans sont plus faciles à détecter, comme la constante augmentation des températures de surface de la mer dans les Caraïbes.
Durant les 20 dernières années, presque chaque mois, les chercheurs du Département des sciences de la mer à l’Université de Puerto Rico (UPR) ont mesuré la moyenne des températures et la salinité de la mer des Caraïbes à la surface des eaux.
Au cours de cette période, ils ont détecté une forte tendance à la hausse, en dépit de la variabilité due aux saisons et aux effets climatique du courant El Niño, indique Jorge Corredor, de l’UPR, qui a présenté ses conclusions durant le Symposium.
Au rythme actuel d’augmentation, la température moyenne annuelle dépassera à terme 27,4 degrés Celsius, c’est à dire la valeur du seuil pour la formation des ouragans. Cela signifie que les ouragans pourraient se former à tout moment de l’année dans trois ou quatre décennies si la tendance au réchauffement se poursuit. « Il n’y aura plus de saison des ouragans », avertit-il.
M. Corredor observe toutefois que le réchauffement de l’eau n’est que l’un des facteurs intervenant dans la formation des ouragans et qu’il existe d’autres résultats de recherches donnant à penser que le changement climatique n’augmentera pas leur nombre total dans la région. Toutefois, le nombre de tempêtes très puissantes est lui susceptible d’augmenter.
Le réchauffement de l’eau induit également un risque important pour les coraux. Les recherches effectuées à l’UPR montrent que dans le futur la température de l’eau serait susceptible d’être trop élevée durant l’été pour les coraux.
Pour les scientifiques, l’acidification des océans est également un nouveau sujet de préoccupation. Détecté depuis moins de quatre ans, ce phénomène est le résultat du processus par lequel les émissions de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles rendent les eaux de surface plus acides.
Cette acidification commence à affecter les coquillages ainsi que les coraux et le plancton. Elle a le potentiel, en quelques décennies, de dévaster les récifs de coraux, mais également compromettre l’ensemble de la chaîne alimentaire maritime.
De nouvelles recherches seront nécessaires pour identifier et déterminer les effets de ce processus, indique M. Valdés.
Plus récentes encore sont les observations montrant que l’océan Austral absorbe désormais moins de dioxyde de carbone, qui est le principal gaz à effet de serre.
Il y a de cela un an, Corinne Le Quere, de Université Britannique d’East Anglia, a indiqué que l’océan Austral capture aujourd’hui moins de CO2 et semble avoir atteint son point de saturation.
Les océans absorbent la moitié de toutes les émissions de carbone d’origine humaine et les piégent dans les profondeurs océaniques.
Les conclusions de Mme Le Quere ont suscité un vif débat. Elle a informé les participants au Symposium qu’elle disposait aujourd’hui de preuves supplémentaires montrant clairement qu’une quantité moindre de CO2 est absorbée. De plus, il existe des preuves indiquant que le même phénomène apparaît dans d’autres océans. « Cela semble être un affaiblissement global du rôle de puits de carbone des océans », constate-t-elle.
Bien que subsistent encore quelques incertitudes, il semble que la quantité de CO2 demeurant dans l’atmosphère est plus forte que prévu. Aucune des modélisations climatiques utilisées par le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) n’incluait ce facteur, ce qui signifie que leurs projections ont probablement sous-évalué la rapidité avec laquelle les niveaux de CO2 augmenteront.
A l’appui de ses dires, Mme Le Quere a produit une estimation réalisée par le GIEC à la fin des années 1990 qui sous-estimait la hausse réelle de CO2 observée au cours des dernières années.
Plutôt que de penser que le travail du GIEC est arrivé à son terme - avec pour couronnement le prix Nobel de la paix 2007- il est temps d’accélérer les efforts pour comprendre ce qui se passe dans les puits de carbone, estime-t-elle.
M. Valdés insiste sur le fait que les océans et le climat sont en train de se transformer d’une manière que nous ne comprenons pas encore. « La question clé à laquelle nous tentons de répondre est : de quel genre de monde nos enfants vont-ils hériter ? »
Publication originale IPS via CommonDreams, traduction Contre Info
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Posté par Adriana Evangelizt